[PORTRAIT] Alain Rigault, épicurien par nature

Il manie les mots comme les ingrédients d’une recette et travaille ses gâteaux comme des œuvres d’art, le pâtissier-poète de 70 ans dévoile son parcours romanesque.

C’est sa soif d’aventures qui a mené Alain Rigault à la pâtisserie. « Je rêvais de voyager et, à l’époque, on m’a dit que le métier de pâtissier permettait le nomadisme. Je me suis donc exercé avec ma mère et cela m’a tout de suite plu : les bonnes odeurs, faire plaisir et surtout déguster ! »

Gourmand, il croque la vie à pleines dents

En 1965, à l’âge de 15 ans, il devient apprenti pâtissier à Saint-Cloud, chez Monsieur Poisson, populaire dans le milieu des artistes parisiens. Alain se souvient des livraisons de desserts à vélo chez l’acteur Lino Ventura, à qui il dédie d’ailleurs un poème : « Heureux de vous avoir rencontré au moment où j’ouvrais les portes de ma vie de pâtissier », écrit-il dans son premier recueil du Pâtissier-poète.

Après avoir fait ses armes, en cuisine puis à l’armée, il goûte enfin au voyage dans les années 1970 en devenant pâtissier pour la compagnie des wagons-lits et découvre les pays nordiques. Au gré des rencontres, il passe ensuite de clubs de vacances en clubs de vacances, direction l’Italie, la Suisse, l’ex-Yougoslavie et Tahiti. Alain est un homme accompli.
C’était sans compter l’expérience suivante, la plus incroyable de toutes. L’homme entre au service de la famille royale de Jordanie, le roi Hussein et la reine Noor, dont il est le pâtissier attitré. Une période fastueuse durant laquelle il donne beaucoup pour satisfaire leurs exigences tape à l’œil. « Une fois, j’ai dû réaliser un gâteau d’un mètre sur deux représentant la Jordanie pour une grande fête donnée sur la plage. » Une période où il voit également défiler des figures politiques dans les couloirs du palais : la reine Élisabeth II, l’ancien président français François Mitterrand, l’ancien roi d’Espagne Juan Carlos Ier… L’artisan exerce ensuite, dès 1986, sur des bateaux de croisière et dans des hôtels de luxe, du Chesa Grischuna en Suisse au Ritz-Carlton aux États-Unis. Il confectionne des pièces sucrées toujours plus extravagantes et fait parfois l’objet de standing ovation inoubliables. Il se remémore ce temps-là avec une pointe de nostalgie.

De la pâtisserie à la poésie, il n’y a qu’un pas

De retour en France dans les années 1990, le pâtissier ne la quittera plus. Après le décès de son père, il décide de rester au chevet de sa mère malade jusqu’à la fin de sa vie. Ces années d’abnégation, où il a dû mettre de côté sa carrière, l’ont amené sur le chemin de l’introspection.

Celui qui aimait rassasier les corps se tourne naturellement vers la nourriture de l’esprit : les mots. Il écrit un premier roman, L’Histoire de petit Jean, et un ouvrage sur l’histoire de la pâtisserie, qui ne trouvent pas preneur auprès des éditeurs.

Mais Alain ne baisse pas les bras, il rêve secrètement de passer de l’ombre à la lumière. Il leur envoie alors ce qu’il a de plus intime : ses poèmes. L’homme y raconte ses joies, ses peines, ses désillusions… Ces textes rendent aussi hommage à la pâtisserie, à la Bretagne et aux personnes qui ont compté, Le Baba au rhum, Queen Amann, Au revoir Papa… Sensible et touchante, sa poésie fait montre d’une grande générosité qui fait résonance chez un panel de lecteurs. Ses poèmes ne tardent pas à être édités. Aujourd’hui, Alain Rigault continue de mêler ses passions car « Écrire, c’est comme offrir un bon repas à un ami – Mais manger les mots, c’est la légèreté du dessert ».